Eloïse Lièvre
« Les dessins mouillés de Marc Molk », janvier 2010
Puisqu’il faut parler, écrire, enrober de mots, sarcler, décrire, alors il faut tout d’abord noter la technique employée, et sa mélancolie intrinsèque, son côté « inondé de larmes ». Marc Molk réalise « des dessins mouillés ».
Il faut du courage pour abandonner ainsi des compositions soignées, au trait fin, gourmandes en temps, en précision, à l’action de l’eau. Je me suis laissé dire d’ailleurs que plusieurs dessins, beaucoup, n’y avaient pas survécu. On ne commande pas à l’eau d’aller à gauche ou à droite, ou si peu. Le trait se dissout, perd en rigueur, gagne en fluidité, en complexité. Parfois ce sont des cheveux qui s’en échappent et forment une sorte de crinière. Parfois on dirait les traces du crépitement d’une pluie minuscule et torrentielle, qui désagrège « le fil du trait ». Ce fil reste pourtant toujours présent, quelquefois sous la forme d’une trace fantôme, presque orangée.
Car il faut parler de couleur. Ces dessins sont rouges, ou plutôt rouges-roses. On pense au sang, trop évident, aux toiles de Jouy dans les scènes qui mettent en jeu la forêt, c’est une piste, à l’encre des corrections, des bonnes et des moins bonnes notes, au rose du courrier du cœur, au rose de l’innocence et à celui du sexuel. Mais finalement c’est la douceur qu’il faut retenir, la douceur d’un trait qui « fait saigner » le papier, comme il arrive que le papier nous fasse saigner, quand la tranche d’une feuille, en lame de rasoir, nous coupe le doigt.
Cette légère atteinte, cette altération assumée, se retrouve dans les sujets représentés. Des sujets à la fois apparemment nostalgiques d’événements passés et toujours un peu acides. Telle jeune fille a eu un chat en cadeau mais son sourire fait peur et l’on dirait qu’elle serre trop l’animal. La réunion de cette bande d’amis dans l’eau des Gorges du Verdon il y a longtemps a quelque chose aussi de ridicule, au-delà de l’étrange tristesse qui se dégage de la scène.
Marc Molk, dans cette série de dessins mouillés, donne l’impression de souffrir d’un « spleen rose », d’une maladie de l’âme en demi-teinte. Une âme qui ne croit plus, ni à la conservation des choses, ni à celle des êtres. Et qui laisse ses dessins vivre le même destin sous la pluie.