Marc Molk’s passion, Revue Tenten
“Il y a tellement de personnes que l’on fréquente quotidiennement sans les apprécier, que l’on croise souvent sans chercher à les connaître ou à qui l’on sourit par politesse sans vraiment les aimer. A contrario il y en a d’autres, beaucoup moins nombreuses, que l’on croise une seule fois et qui laissent pourtant une empreinte si profonde que l’on se prend à les considérer comme des amis, de loin, surtout sans jamais le leur dire ; des rencontres indélébiles.
J’ai rencontré Marc un été dans la Creuse, lors de circonstances particulières et joyeuses ; un mariage très simple, magnifique. Nous avons passé naturellement, presque par hasard, une nuit blanche assis ensemble au coin d’un grand feu, à littéralement défaire le monde, passionnément.
Pour moi il est d’abord un philosophe, intransigeant mais accessible, comme une pierre non taillée, hors des normes étriquées de notre époque : honnête.
Mais Marc est surtout un artiste fascinant, à l’œuvre complexe.
Entretien épistolaire au long cours :
Propos recueillis par Thibault Fournal
Marc, peux-tu, pour commencer, nous faire une petite synthèse de ton parcours ? Quelles sont tes influences majeures ?
C’est un parcours qui zigzague entre peinture et écriture.
J’ai commencé à peindre très jeune, adolescent. C’est une activité dont ma famille se moquait, et qui a quelque chose d’un peu ridicule en soi, mais qui me semble sans limites. C’est un genre de casse-tête, un jeu pénible, souvent, et merveilleux, parfois.
Nous écoutions presque uniquement de la chanson à texte dans ma famille : Ferré, Barbara, Gainsbourg, Brel, Brassens, Aznavour… Cela a formé en moi un genre de diapason qui trie les phrases qui clochent et celles qui sonnent. J’écris de là, depuis la langue chantée.
Si je dois tout résumer fissa, je veux mentionner mes deux enfants. C’est une oeuvre, essentielle celle-ci. C’est ma plus grande réalisation.
J’essaie de ne rien rater en somme. J’entends par là ne pas passer à côté de la vie, alors même que c’est une sensation qui me tourmente.
Quant aux influences que j’ai subies, j’ai peur de faire une liste qui serait immanquablement partielle. Presque tout s’imprime en moi d’ailleurs. Je me sens chahuté plus qu’autre chose, esthétiquement parlant.
Renseigne-nous un peu sur ton actualité…
J’expose en ce moment à Berlin à la galerie Erratum et plusieurs de mes calligrammes ont été publiés dans une anthologie de la poésie érotique contemporaine qui vient de paraître aux éditions Garnier.
Le texte de mon intervention au Collège de France à l’occasion du colloque « La Fabrique de la Peinture » paraîtra bientôt aux éditions ENd.
Je participe en janvier à une exposition collective de peintures qui ont toutes en commun une certaine franchise dans la manière.
Je travaille en somme, comme une abeille fait son miel, à mon rythme. Et je suis souvent le simple spectateur de ce que je fais. C’est à la fois reposant et inquiétant.
Je suis très amoureux aussi, ce qui change une vie, chacun en conviendra.
Je crains le décès prochain de mes parents, je m’occupe de l’éducation de mes enfants, je paie mes impôts, je suis un peu surmené.
J’aimerais parfois me retirer dans une crique abandonnée, au fin fond des Pouilles italiennes, sans internet ni électricité, face à la mer, entre une falaise ocre et un horizon bleu. J’y vivrais en short, pieds nus, sans montre et sans parler, je mangerais le poisson que j’aurais péché avec un peu de pain acheté au village, et je chanterais parfois sans que personne ne m’entende ou bien je me baignerais la nuit en contrebas de ma masure dans l’eau noire et fraîche, au risque d’être emporté au large. Ce serait magique. J’imagine que tout le monde pratique ces rêveries. Elles surviennent régulièrement à l’esprit de ceux qui prennent trop peu de vacances.
Tu me dis que tu essaies de ne pas passer à côté de la vie. Justement, en quoi celle-ci a-t-elle une influence sur ton travail ?
C’est le terreau et la chape de plomb.
Le terreau parce qu’il est impossible de peindre ou d’écrire hors-sol, et ce sol c’est la vie toute bête, qui est parcourue de traits magnifiques et de déceptions ridicules ou tragiques. Je vis la vie de tout le monde. Il n’y a qu’une seule vie. Je dis cela mais certains connaissent des drames que l’on ne peut même pas effleurer en imagination, alors je me trompe sans doute dans une certaine mesure, mais disons que j’ai la vie du plus grand nombre je crois, pour le moment du moins, et c’est depuis cette vie-là que je peins et que j’écris.
Mais l’existence est aussi une chape de plomb car elle est toute entière faite de contraintes. Le réel est dans l’opposition. La vie de tous les jours est une logistique, un secrétariat détestable, un ralentissement perpétuel. La moindre journée ici-bas est une épreuve d’endurance et d’opiniâtreté, et le temps perdu à batailler avec le tangible, les contraintes matérielles, administratives, les contrariétés stupides en général, est perdu à jamais.
La vie est la matière donc mais elle bride beaucoup aussi tout ce que l’on entreprend. La liste des tableaux ou des livres qui n’ont pas vu le jour parce que je n’ai pas eu le temps ou la force de les peindre ou de les écrire est longue.
Y-a-t-il une différence entre ce que tu écris et ce que tu peins ?
Au début il y avait une différence je crois, qui tend à s’amenuiser. J’observe une convergence depuis plusieurs années, autour de notions comme l’autobiographie, le désordre des sentiments, la disparition… Qu’il s’agisse de peindre ou d’écrire, ces préoccupations s’imposent toujours finalement. J’espère qu’au loin les personnes qui me sont destinées apercevront les feux de détresse que sont mes tableaux ou mes livres, les apprécieront, s’y reconnaitront, et viendront à ma rencontre.
La véritable convergence est là, c’est le même projet : aller à la pêche aux amis, aux amours, aux âmes soeurs. En écrivant ceci je frise le ridicule, on dirait une adolescente américaine qui se confie à son chat, mais si je veux être honnête, il s’agit bien de cela.
Comment envisages-tu le futur ?
Je suis là, comme un rocher.
Je n’ai pas le pantalon usé au niveau des genoux, je ne travaille que dans l’amitié et le respect mutuel. Les courtisaneries pathétiques, les retrolikes systématiques, les rires forcés à des plaisanteries vaines, ne sont pas mon fort. Alors je me suis fait quelques ennemis qui me nuisent et continueront à me nuire. Mais je peux également compter sur de solides amitiés, fondées sur une véritable estime. Elles valent cent de ces bras dessus bras dessous qui se nouent sur le karaoké ringard d’une flatterie réciproque.
Je m’attends donc au meilleur et au pire. Ils sont inséparables. Je m’y attends debout face au feu.”